Pacte sur la migration et l’asile : un accord trouvé mais déjà fortement critiqué
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 21 décembre 2023
Le contenu exact de l’accord obtenu entre les deux co-législateurs européens, le Parlement et le Conseil, le 19 décembre n’étant pas encore public, les informations fournies dans cet article sont donc sujettes à des évolutions.
Les négociations autour du Pacte européen pour la migration et l’asile ont connu ces dernières années des périodes d’accélération et de blocage, rythmées par des débats intenses, touchant des questions fondamentales de droits humains et de souveraineté des États membres. Les institutions européennes s’étaient fixé comme objectif de parvenir à un compromis avant la fin du mandat actuel du Parlement européen, en juin prochain et ont multiplié les réunions de négociations (les trilogues) ces derniers mois. L’accord conclu le 20 décembre concerne cinq des 10 textes qui composent le Pacte : les règlements « filtrages », « gestion de l’asile et de la migration –RAMM », « procédures », « crise » et « Eurodac ».
Les négociations entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE sur le règlement « Eurodac » et sur le règlement « filtrage » sont en cours respectivement depuis décembre 2022 et avril 2023. Plus récemment, c’est en juin 2023 qu’ont débuté les « trilogues » sur le règlement sur la gestion de l’asile et la migration (dit « RAMM ») et le règlement régissant les procédures d’octroi d’une protection internationale (dit règlement « procédure » ou « APR »). Les « trilogues » sur ces quatre textes ont donc été largement entamés avant d’être mis en pause le temps que le Conseil adopte une position sur le règlement « Crise », ce qu’il a fait le 4 octobre 2023.
Que contient ce compromis ?
Règlement filtrage
Avec ce nouveau règlement, tout ressortissant d’un pays tiers arrivé irrégulièrement aux frontières extérieures de l’UE serait maintenu dans des lieux de privation de liberté durant une phase dite de « filtrage » qui pourrait durer sept jours. Pendant cette période, les personnes ne sont pas considérées comme étant entrées sur le territoire européen. La possibilité d’appliquer cette procédure à des personnes interceptées sur le territoire de l’Union sans preuve d’entrée régulière, serait maintenue. Comme souhaité par le Conseil, les mineurs isolés et les familles avec des enfants de moins de 12 ans pourraient être concernés par cette procédure.
Ce filtrage, comprenant des contrôles sécuritaires, d’identité et sanitaires durerait sept jours, prolongeable en cas de crise. Pendant ce temps, les personnes ne seront pas considérées comme étant entrées dans l’UE et pourront donc être plus facilement éloignées.
A la suite du filtrage les personnes seront dirigées vers des procédures d’asile ou de retour.
Pour en savoir plus : notre décryptage du règlement « filtrage »
Règlement procédure
Ce règlement viendra remplacer l’actuelle directive « procédure » par un texte d’effet direct en droit national dans un objectif d’harmonisation renforcée des procédures d’asile dans l’UE. L’accord provisoire prévoit la mise en place d’une procédure d’asile à la frontière obligatoire pour les ressortissants d’une nationalité bénéficiant de moins de 20 % de reconnaissance de protection à l’échelle européenne. Par ailleurs, au moins 30 000 demandes d’asile devraient être traitées chaque année à l’échelle européenne dans le cadre de cette procédure. Durant cette procédure les personnes seraient encore maintenues dans des lieux de privation de liberté, cette fois-ci pour une durée de 12 semaines. À nouveau, aucune exemption ne semble prévue pour les familles avec des mineurs, si ce n’est que leurs demandes d’asile seront traitées en priorité. Les mineurs non-accompagnés ne devraient pas être concernés par cette procédure sauf s’ils représentent un « risque sécuritaire ».
Durant le traitement de leur demande, les personnes ne bénéficieront pas d’une aide juridique gratuite, seul un « conseil juridique » gratuit sera disponible durant certaines phases de la procédure. En outre, la majorité des recours dans cette procédure sont sans effet suspensif, sauf lorsqu’il s’agit de décisions d’irrecevabilité pour les mineurs non accompagnés ou fondées sur le concept de « pays tiers sûr ».
La lien d’un demandeur d’asile avec un « pays tiers sûr » serait un critère de rejet de demande d’asile et pourrait conduire les personnes déboutées à être placées dans des procédures de retour également depuis la frontière. Toutefois, le renvoi d’une personne vers un pays ne figurant sur aucune liste de « pays sûrs » ne devrait pas être possible.
Pour en savoir plus : notre décryptage du règlement « procédure »
Règlement « RAMM »
Le Règlement RAMM a pour objectif de remplacer l’actuel règlement « Dublin » sur la détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile. Les critères établissant un lien entre une personne demandant l’asile et un État membre, dans le cadre de la définition du pays responsable du traitement de la demande, sont globalement maintenus avec quelques critères supplémentaires, comme l’existence de liens significatifs ou la connaissance de la langue. Le pays de premier entrée resterait le critère principal. Ce pays pourrait être responsable d’une personne jusqu’à 20 mois après son arrivée initiale sur le territoire. La demande aux fins de reprise en charge deviendrait une simple notification et un recours contre la décision de transfert pourrait ne plus être suspensive.
Le règlement introduit également un volet de « solidarité » entre États membres, dont la portée limitée a été dénoncée par Amnesty International. Le système de solidarité « flexible » et « obligatoire » entre États membres qui semble résulter des « trilogues » met sur un pied d’égalité trois types de solidarité possibles : la relocalisation de demandeurs d’asile depuis un pays de première entrée, une solidarité financière vers les pays de première entrée et une solidarité financière vers des pays tiers. La solidarité par sponsor des retours aurait été supprimée, comme le souhaitait le Parlement. Dans le cadre de ce mécanisme de solidarité, le règlement fixe le seuil minimal de relocalisation à 30 000 demandeurs et la contribution financière à 600 millions d’euros.
Pour en savoir plus : notre décryptage du règlement « RAMM »
Règlement Crise et force majeure
Avec ce nouveau texte, l’Union européenne entend se doter d’un instrument pour répondre à des situations d’arrivées massives de personnes migrantes aux frontières extérieures, y compris suite à des opérations de sauvetage. Le texte sortant des trilogues pourrait permettre aux États membres de déroger au régime d’asile européen commun (RAEC) tel que défini dans les règlements précédents en cas de « crise », de « force majeure » et d’ « instrumentalisation » de personnes migrantes à sa frontière. Les ONG venant en aide aux personnes migrantes pourraient être considérées comme des acteurs de l’ « instrumentalisation ».
Si une situation est qualifiée de « crise », les demandes d’asile pourront être enregistrées sous 10 jours au lieu de trois et les procédures d’asile et de retour à la frontière seront étendues de six semaines chacune. De plus, la procédure à la frontière devrait s’appliquer à tous les ressortissants d’une nationalité bénéficiant de moins de 50% de reconnaissance de protection en cas de « crise » et à l’ensemble des personnes en cas d’ « instrumentalisation ».
Même si les mesures de solidarité des États membres contributeurs devraient être renforcées envers le pays en crise et que ces derniers ne se verraient plus transférer des personnes initialement arrivées sur leur territoire, les relocalisations ne deviendront probablement pas obligatoires.
Pour en savoir plus : notre décryptage du règlement « Crise et force majeure »
Règlement Eurodac
A la suite des trilogues, les colégislateurs se sont accordés sur l’enregistrement de tous les ressortissants de pays tiers entrant sur le territoire de l’UE et leur catégorisation : demandeurs d’asile, personnes en situation irrégulière, personnes débarquées suite à une opération en mer, personnes réinstallées et bénéficiaires d’une protection temporaire. Outre la prise d’empreintes, l des images faciales seront aussi collectées, dès l’âge de six ans. Le Conseil serait également parvenu à faire adopter des sanctions administratives supplémentaires en cas de refus de se soumettre au relevé d’empreintes. Enfin, davantage de bases de données européennes pourraient avoir accès à ces données personnelles et les États membres pourraient également s’en servir pour des raisons de « sécurité intérieure ».
La création d’une catégorie pour les personnes débarquées suite à des sauvetages en mer est présentée comme un moyen d’établir la responsabilité de l’État membre quant aux demandes d’asile conformément au principe du « pays de première entrée ». En outre, cette catégorisation servira également aux calculs prévus dans le règlement « crise » afin de mesurer la pression migratoire et dans le règlement « APR » pour mesurer la « capacité adéquate » d’un pays.
De nombreuses associations et ONG ont dénoncé ce compromis qui remet en cause le droit d’asile : le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) a qualifié l’accord de complexe et « Orbanesque », et Amnesty a alerté sur une « augmentation des souffrances ».
A présent les trilogues techniques vont se poursuivre pour s’accorder sur les derniers éléments juridiques avant que ce texte ne soit voté formellement au Parlement, au plus tard du 22 au 25 avril 2024, lors de la dernière la séance plénière avant les élections.