Renforcement des règles européennes contre la traite des êtres humains : une protection supplémentaire pour les personnes migrantes ?
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 27 juin 2024Une révision des règles de lutte contre la traite des êtres humains, désormais plus ambitieuses, a été publiée au Journal officiel le 13 juin dernier. La directive amendée n’apporte toutefois pas suffisamment de réponses aux besoins spécifiques des personnes migrantes, particulièrement victimes de ce crime au cours de leur parcours migratoire.
Modifiée afin de relever de nouveaux défis, la directive concernant la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains intègre désormais de nouvelles formes d’exploitation telles que le mariage forcé, l’adoption illégale et l’exploitation à des fins de gestation pour autrui. Depuis 2011, l’Union européenne s’est dotée d’un texte, qui établit des règles concernant la définition, les infractions et les sanctions liées à la traite, ainsi que la protection des victimes. Face à l’évolution des formes de traite, notamment en ligne, une réforme de la directive a été engagée. Le nouveau texte prévoit également un meilleur accès aux refuges appropriés pour les victimes de la traite, ainsi qu’un signalement sûr et accessible pour les victimes mineures. Les États membres devront également adopter des plans nationaux d’action contre la traite, qui seront rendus publics, révisés et mis à jour tous les cinq ans.
Malgré un renforcement général des règles, la directive ne prévoit toujours pas beaucoup de garanties spécifiques pour les personnes migrantes. Pourtant, la traite est un phénomène qui touche particulièrement les personnes en situation de migration : selon les dernières données d’Eurostat, en 2022, 63,1 % des victimes de la traite des êtres humains enregistrées dans l’UE provenaient de pays extérieurs au bloc, tandis que 25,1 % étaient originaires du pays dans lequel les faits ont été commis.
Le texte contient tout de même une référence sur le besoin de protection internationale pour certaines victimes de la traite. En ce sens, les États membres devront veiller à la coordination entre les autorités chargées de l’asile et celles de la lutte contre la traite, afin que les victimes puissent « exercer leur droit de demander une protection internationale ». Ce changement, considéré comme une avancée, est salué par des acteurs associatifs tels que le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE).
Des avancées en demi-teinte
La non-application de sanctions pour inclure toutes les activités illégales que les victimes sont contraintes de commettre du fait de la traite a été étendue, mais les personnes migrantes ne sont pas mentionnées explicitement. La clause générale actuelle pourrait s’avérer suffisamment protectrice si tant est que toutes les victimes soient bien couvertes par les États dans leur mise en œuvre de cette disposition.
De nombreux professionnels « susceptibles d’être en contact avec des victimes » tels que des juges, des procureurs ainsi que des professionnels des services sociaux et de la santé, sont désormais concernés par les formations régulières et spécialisées que doivent proposer les États membres, aux côtés des policiers déjà mentionnés auparavant. Déjà prévues dans le plan national français de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains des quatre prochaines années, les formations s’emparent d’enjeux importants comme l’égalité femmes-hommes, le handicap, et le cas des enfants, mais ne font toujours pas explicitement référence à la migration comme facteur clé de vulnérabilité.
D’autre part, il n’existe dans le texte aucune disposition protectrice concernant l’éloignement. Cette absence expose les victimes migrantes à des risques accrus de rechute dans le cycle de la traite, comme le reconnaissent les acteurs du domaine de la traite et de la migration. L’OIM souligne notamment les risques de stigmatisation et les problèmes de réintégration auxquels les victimes sont confrontées lorsqu’elles sont renvoyées dans leur pays d’origine. Par ailleurs, l’occasion d’inclure une clause d’évaluation des risques avant la mise en œuvre de la procédure Dublin, ainsi que la suspension des transferts en cas de risque d’exploitation ou re-exploitation, a également été manquée.
Des personnes à risque mal protégées
La traite touche majoritairement les personnes en situation de migration, et d’autant plus les plus vulnérables d’entre elles. Divers facteurs accroissent la vulnérabilité des personnes en exil face à la traite. Forcées de fuir des conflits ou catastrophes humanitaires, elles sont particulièrement exposées aux risques d’exploitation. Leurs besoins urgents de se déplacer les poussent souvent à prendre des décisions dangereuses, telles qu’emprunter des routes migratoires périlleuses ou accepter des solutions d’exploitation faute de ressources financières. La déstabilisation des structures sociales, familiales et communautaires rend également les personnes exilées plus vulnérables. Isolées et précarisées, elles deviennent des cibles faciles pour les réseaux de traite.
Plus particulièrement, un statut administratif irrégulier dans le pays de destination augmente la probabilité d’exploitation et d’intégration dans des réseaux de traite. Sans possibilité de travailler légalement, les personnes exilées en situation irrégulière sont souvent contraintes de travailler dans des secteurs exposés à l’exploitation ou pour des employeurs abusifs. Leur dépendance à ces employeurs pour exercer un travail ainsi que la contrainte exercée par les employeurs peuvent les maintenir dans un cycle d’exploitation. De plus, le statut administratif peut rendre les personnes migrantes plus réticentes à dénoncer les réseaux de traite, par crainte d’être détenues par les autorités ou éloignées du territoire.
Les demandeurs d’asile, d’autre part, sont également confrontés à des obstacles liés à l’emploi. Leur statut administratif, bien que régulier, les empêche souvent de travailler, les laissant dans une position précaire et vulnérable aux réseaux de traite. Pour le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), il est important, face à ce problème de leur garantir un accès effectif au marché du travail.
Au moment de la guerre en Ukraine en 2022, le GRETA a d’ailleurs souligné que le nombre enregistré de victimes ukrainiennes de la traite restait faible, contrairement à la tendance habituellement observée pour d’autres groupes fuyant les conflits. Ces chiffres peuvent s’expliquer par les mesures de protection rendues plus accessibles pour les réfugiés ukrainiens par l’Europe, réduisant ainsi les risques de traite.
Le manque de références spécifiques aux personnes migrantes ou à leur situation particulière dans la directive révisée limite fortement l’impact que pourra avoir le texte sur la protection des victimes.
Les États membres disposent désormais de deux ans pour transposer les nouvelles mesures et modifications dans leur droit national. Ils peuvent aussi saisir cette opportunité pour adopter des mesures plus ambitieuses en faveur des victimes.
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