Réouverture de deux centres de rétention au Royaume-Uni : un système de plus en plus répressif
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 31 octobre 2024Depuis le Brexit, la question migratoire occupe une place centrale dans la politique britannique et les mesures répressives sur le sujet se multiplient. Le nouveau gouvernement travailliste, élu en 2024, maintient cette ligne, durcissant son discours sur la sécurité et l’immigration irrégulière, et confirmant la réouverture de deux centres de rétention.
Mercredi 21 août 2024, devant la Carfax Tour dans le centre-ville d’Oxford, un groupe de manifestants protestent contre la réouverture d’un centre de rétention de personnes migrantes, le Campsfield House, fermé en 2018. Ils font partie d’une coalition rassemblant des acteurs de la société civile appelée Keep Campsfield Closed. Liz Peretz appartient à ce groupe. Elle raconte qu’elle était membre de la première campagne, Campaign to close Campsfield, qui luttait pour faire fermer le centre depuis 1993. Interviewée par la BBC, elle rapporte : « Je savais que les conservateurs voulaient le rouvrir, mais j’espérais vraiment que le parti travailliste entendrait raison et ne le rouvrirait pas ».
Avant l’élection de Keir Starmer en tant que Premier Ministre le 5 juillet 2024, le Royaume-Uni n’avait pas connu de gouvernement travailliste depuis 2010. Mais depuis son arrivée au pouvoir, le parti social-démocrate poursuit une politique migratoire restrictive et met l’accent sur la sécurité et le contrôle des frontières. Le 21 août 2024, Yvette Cooper, ministre de l’Intérieur, a prononcé un discours sur les futurs objectifs du gouvernement en matière de politique migratoire. Parmi ses annonces, le recrutement d’agents spéciaux pour lutter contre les passeurs mais aussi l’objectif de réaliser le plus grand nombre d’éloignements depuis 2018. Pour parvenir à ces chiffres, elle annonçait l’augmentation du nombre de places en rétention avec la réouverture de deux « centres d’éloignement » (immigration removal centres (IRC), l’équivalent des centres de rétention en France).
Le premier, le centre de rétention Haslar Center, avait fermé en 2015 à la suite d’un examen du Parlement qualifiant la détention de personnes migrantes de « chère et néfaste pour les détenus ». Le second et plus controversé, Campsfield House, avait fermé en 2018 à la suite d’insurrections, de grèves de la faim et de deux suicides. De nombreux rapports attestent des conditions de vie de plus en plus difficiles dans les centres en activité, notamment dans celui de Gatwick, situé près de l’aéroport du même nom dans le sud de Londres. Par ailleurs, le Royaume-Uni fait figure d’exception en Europe puisqu’il n’existe légalement pas de durée maximale de détention pour une personne migrante. Dès lors, les personnes placées en détention ne savent pas combien de temps elles vont y rester, mais cela peut parfois durer jusqu’à 4 ans, ce qui accentue la détresse psychologique de ces personnes déjà en situation de vulnérabilité.
« Les travaillistes semblent avoir déjà commencé à tomber dans la même vieille routine que les conservateurs »
Ces propos sont ceux de Daniel Sohege, spécialiste des questions migratoires, et directeur du groupe de défense des droits humains Stand for all. Dans une tribune publiée dans le journal Big Issue, il accuse le gouvernement travailliste de répéter la logique « dissuasion, détention et expulsion » des conservateurs. Pourtant, dès son arrivée à la tête du gouvernement, Keir Starmer a annoncé la fin de deux dispositifs controversés, le plan Rwanda et le Bibby Stockholm. Le plan Rwanda prévoyait l’éloignement de demandeurs d’asile entrés de manière irrégulière sur le territoire britannique vers le Rwanda, jugé comme un pays sûr par le gouvernement mais pas par la Cour suprême britannique. Le Bibby Stockholm est une barge de près 100m de long sur laquelle est construit un immense bâtiment semblable à une prison dans lequel des demandeurs d’asile ont été hébergés à partir de 2023 dans le port de Portland, au Royaume Uni. Les conditions de vie y sont extrêmement difficiles, et un homme y est décédé, probablement d’un suicide le 12 décembre 2023.
À l’exception de ces deux abandons, la politique migratoire du Royaume-Uni reste sensiblement la même en dépit du changement de parti au pouvoir. Le 18 juillet 2024, Amnesty International UK déclarait que le nouveau premier ministre prenait une « direction très similaire » à l’ancien gouvernement en termes d’asile. La réouverture des deux centres de rétention illustre cette continuité politique entre conservateurs et travaillistes. En effet, le gouvernement Sunak avait suggéré en 2022 de rouvrir les deux centres pour mettre en œuvre le plan Rwanda. Les nombreux travaux ainsi que les élections avaient relégué ce projet au second plan mais Yvette Cooper l’a récemment remis à l’ordre du jour. M. MacKeith, l’un des organisateurs de la Campaign to Keep Campsfield Close exprime son incompréhension : « Le nouveau gouvernement aurait pu rompre avec la politique du gouvernement précédent qui consistait à augmenter les détentions de personnes migrantes, et comme le centre ne sera pas utilisé pour mettre en œuvre le plan de vols vers le Rwanda, il n’est pas nécessaire ».
Ce phénomène n’est pas unique en Europe puisque d’autres partis socio-démocrates, historiquement à gauche, ont mis en place des politiques restrictives en termes d’accueil et de migration. Au Danemark par exemple, depuis l’arrivée au pouvoir en 2019 du parti social-démocrate, la politique d’accueil s’est durcie, avec comme argument principal la volonté de prioriser les classes populaires nationales. De même, en Allemagne, où une coalition de partis de gauche à centre droit multiplie les annonces concernant la lutte contre l’immigration irrégulière. Parmi ces annonces, le projet, à leur tour, d’un plan Rwanda ou encore la mise en place de contrôles aux frontières.
Une réponse aux émeutes racistes du mois d’août
Les annonces du ministère de l’Intérieur pour lutter contre les small boats font suite à de violentes émeutes d’extrême droite qui ont secoué le Royaume-Uni en août 2024. Ces violences à caractère raciste sont particulièrement ciblées sur les personnes migrantes, notamment les demandeurs d’asile. Les émeutes ont débuté le 30 juillet 2024, le lendemain de l’assassinat de trois jeunes filles de 6 à 9 ans à Southport. Des rumeurs sur les réseaux sociaux ont attribué la commission de cette attaque à un « demandeur d’asile musulman arrivé par bateau », ce qui a entrainé un mouvement de haine qui s’est propagé rapidement dans le pays. Les violences ont été particulièrement fortes autour de Rotherham, où un hôtel hébergeant des demandeurs d’asile a été attaqué et incendié, laissant les personnes à l’intérieur terrorisées et traumatisées. La police britannique a annoncé avoir arrêté plus de 1 000 personnes dont 575 ont été condamnées, suite à des comparutions immédiates. La plus longue peine s’élève à 9 ans de prison pour un des émeutiers ayant participé à l’attaque de l’hôtel.
Les prisons britanniques déjà surpeuplées ne peuvent accueillir toutes les nouvelles personnes condamnées suite à ces émeutes. Dès lors, des personnes de nationalité étrangère qui étaient détenues dans les prisons britanniques ont été transférées vers des centres de rétention, dans le cadre de l’Opération Safeguard. Ces détenus poursuivent ainsi leur peine de prison sans qu’une expulsion du territoire ne soit nécessairement envisagée. Ils sont donc mélangés à des personnes exilées que les autorités britanniques veulent éloigner mais qui n’ont pas forcément commis de délit. Le personnel des centres de rétention n’étant pas formé de manière appropriée pour accueillir et organiser la cohabitation de ces personnes aux profils très différents, l’insécurité y progresse et renforce la vulnérabilité des personnes qui y sont placées. Les conditions de détention sont aussi une cause de détresse psychologique pour les détenus, ce qui augmente les risques d’automutilation et de tentative de suicide. Le système de rétention britannique est accusé de maltraitances par le comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, notamment en raison de détentions d’une durée supérieure à 2 ans, de l’utilisation quasi-systématique de menottes même lorsque la personne appréhendée n’oppose aucune résistance ou du manque d’assistance psychologique.
À l’instar de la campagne organisée pour maintenir Campsfield House fermé, une partie de la société civile britannique s’est engagée pour l’accueil des personnes migrantes en organisant des contre-manifestations au moment des émeutes. Cette mobilisation rappelle que les mouvements anti-immigration ne reflètent pas l’opinion de tout le pays, malgré le choix de la poursuite d’une politique restrictive par le gouvernement travailliste actuel.