Route des Balkans : entre rétablissement des contrôles aux frontières et pushbacks
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 11 octobre 2022Selon l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex, la « route des Balkans » – qui s’étend de la Turquie vers l’Europe de l’Ouest – est redevenue la principale voie d’entrée dans l’Union européenne (UE) depuis le début de l’année. Au moins 106 396 passages ont été recensés par l’Agence de janvier à fin septembre, un niveau inégalé depuis 2016 lorsque plus de 130 325 passages étaient alors observés.
Dans ce contexte, l’UE et plusieurs pays situés le long de cette route ont adopté des mesures répressives visant à limiter les arrivées. Au niveau européen, le Vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas a annoncé, dans le cadre de visites officielles dans plusieurs pays des Balkans du 6 au 10 octobre, un nouveau projet d’un montant de 39,5 millions d’euros visant à renforcer les contrôles aux frontières bosniennes, ainsi qu’un soutien financier de 36 millions d’euros à la Serbie.
Le 13 octobre, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision pour un accord entre Frontex et la Macédoine du Nord pour « aider le pays à contrôler la migration irrégulière », et ce, même si l’Agence est régulièrement accusée par les organisations de la société civile d’être impliquée dans des pratiques de pushbacks vers la Grèce.
Multiplication des rétablissements des contrôles aux frontières
En parallèle, les pays d’Europe centrale situés sur la route des Balkans rétablissent à tour de rôle les contrôles à leurs frontières. Le 3 octobre dernier, les chefs de gouvernement autrichien, serbe et hongrois se sont notamment réunis à Budapest pour renforcer leur coopération policière le long de leurs frontières respectives, tout en appelant la Commission européenne à « renforcer les retours ».
Le 26 septembre, la République tchèque a annoncé la réintroduction des contrôles le long des 251 kilomètres séparant le pays de la Slovaquie, et ce pour une durée initiale d’au moins dix jours. Le 5 octobre dernier, le gouvernement tchèque a prolongé de 20 jours la durée des contrôles et 80 soldats ont été déployés à la frontière dès le 9 octobre. À partir du 28 octobre, 320 militaires supplémentaires seront envoyés dans la zone.
L’Autriche lui a emboîté le pas en rétablissant les contrôles avec la Slovaquie le 28 septembre pour au moins dix jours. Le gouvernement autrichien a également conclu un plan d’action avec la Suisse voisine pour permettre le déploiement de patrouilles communes dans la région transfrontalière et renforcer les retours. De son côté, la Bulgarie avait décrété l’état d’urgence partiel à sa frontière avec la Turquie du 23 au 29 septembre – avec une possible prolongation maximale d’un mois -, qui a donné lieu à un renforcement de la présence militaire à la frontière.
Dernier rétablissement en date, l’Allemagne, qui est souvent le principal pays de destination des exilés qui empruntent la route des Balkans, a également annoncé le 11 octobre que le pays prolongeait de six mois les contrôles à la frontière avec l’Autriche à partir de novembre.
Pushbacks systématiques et violences policières le long de la route
Ces mesures restrictives prises dans les pays de transit de la route des Balkans s’accompagnent souvent de renvois sommaires, souvent violents, de demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’Union, à la frontière serbo-hongroise ou encore de la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine. Cette année, la Serbie est devenu un point de passage important pour les exilés qui souhaitent rejoindre l’UE via la Hongrie. Le 5 octobre dernier, le ministère de l’Intérieur serbe a déclaré avoir empêché 200 personnes de traverser la frontière avec la Hongrie, en précisant que « le pays ne deviendra pas un parking pour les migrants », ni « un endroit pour la racaille et les criminels ». L’ONG serbe Klikaktiv a également dénoncé des violences policières et des humiliations systématiques à l’égard des migrants à la frontière entre la Serbie et la Hongrie. Dans un rapport publié en août dernier, l’ONG Save the Children signale que ces violences physiques et psychologiques touchent notamment de nombreux mineurs en Bosnie et en Serbie.
De son côté, depuis 2015, la Hongrie a adopté une série de mesures visant à empêcher tout dépôt d’une demande d’asile sur son territoire, poussant de nombreux migrants à essayer de contourner le pays en passant par la Roumanie ou la Bulgarie pour tenter d’atteindre, in fine, l’Europe de l’Ouest. Une communication de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Dunja Mijatović, publiée en août dernier, indique par ailleurs une hausse du nombre de renvois forcés de la Hongrie vers la Serbie avec plus de 75 000 cas signalés pour la seule année 2022.
Les personnes qui parviennent à transiter par la Hongrie sans se faire refouler se dirigent ensuite souvent vers l’Autriche, qui a enregistré près de 56 000 demandes d’asile de janvier à août, soit plus que sur l’année 2021.
Quels facteurs à l’origine de la réactivation de cette route ?
Selon des experts, plusieurs facteurs permettent d’expliquer la réactivation de la route des Balkans. Outre les renvois sommaires successifs qui amènent les migrants à tenter plusieurs fois le franchissement de la frontière, la politique favorable en matière de visas de la part de la Serbie serait également à l’origine de la hausse des passages. La Serbie permet ainsi aux ressortissants indiens, égyptiens, tunisiens, burundais ou encore cubains, entre autres, d’entrer dans le pays sans visa. Les ressortissants cubains faisaient déjà partie des cinq nationalités les plus présentes dans les camps en Bosnie durant plusieurs mois consécutifs en 2021, et seraient désormais particulièrement nombreux à la frontière serbo-hongroise et avec la Roumanie.
Lors de la réunion des chefs d’État à Budapest le 3 octobre dernier, le Président serbe s’est toutefois engagé à aligner sa politique en matière de visas sur celle de l’Union « d’ici la fin de l’année », notamment en contrepartie d’un soutien de la Hongrie et de l’Autriche pour renforcer les contrôles à sa frontière sud avec la Macédoine du Nord.