Union européenne : la pression monte sur les éloignements
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 24 février 2023Durant le Conseil européen extraordinaire qui a eu lieu les 9 et 10 février, la question des éloignements a monopolisé les discussions entre les dirigeants des Vingt-sept sur le volet migratoire. Outre le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne (UE), les États membres ont convenu d’augmenter le nombre de retours de personnes en situation irrégulière au sein de l’UE vers les pays d’origine et de transit, y compris en recourant davantage au concept de « pays tiers sûrs ».
Alors que seulement 21 % des 342 100 personnes qui ont fait l’objet d’une décision de retour au sein de l’UE ont été effectivement éloignées en 2021 selon Eurostat, le manque de collaboration des pays d’origine pour la délivrance de laissez-passer consulaires ou encore les obstacles administratifs, sont des freins qui reviennent souvent au centre des débats sur la migration à l’échelle européenne.
Une nouvelle Stratégie européenne qui vise à accroître la pression sur les pays tiers
Pour tenter de lever ces freins, la Commission européenne a présenté, le 24 janvier, une « stratégie opérationnelle pour une politique plus efficace en matière de retours ». Cette dernière, articulée autour de quatre priorités, vise à mettre en place des opérations de retour conjointes vers certains pays tiers avec l’appui de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, à accélérer les procédures d’éloignements, à renforcer les informations fournies en matière de réintégration dans le cadre des retours volontaires, et à numériser la gestion des éloignements de chaque État membre. La mise en œuvre de la stratégie va par conséquent renforcer l’action de Frontex, dont le budget dédié aux retours des personnes en situation irrégulière a déjà doublé par rapport à 2021 avec 100 millions d’euros alloués en 2023.
La stratégie prévoit par ailleurs la reconnaissance mutuelle des décisions de retour, pour permettre à un État membre d’éloigner une personne visée par une décision de retour dans un autre État de l’Union. Ce système se baserait sur le Système d’information Schengen, qui deviendra pleinement opérationnel en mars prochain. Cette mesure, dont l’impact resterait à déterminer, fait partie intégrante de la stratégie européenne en matière de retours comme l’a souligné Ursula von der Leyen dans son discours devant le Parlement européen le 1er février dernier. Les États membres de l’UE sont également parvenus à un « accord de principe » sur ce point durant le dernier Conseil européen extraordinaire.
En parallèle de la stratégie de la Commission, la présidence suédoise du Conseil de l’UE ambitionne d’accroître la pression exercée sur les pays tiers pour qu’ils réadmettent leurs ressortissants. Il existe actuellement 24 accords de réadmission entre l’UE et des pays tiers, qui s’ajoutent aux centaines d’accords bilatéraux. Toutefois, ces accords ne parviennent pas tous à être mis en œuvre, faute parfois de collaboration diplomatique. Lors du Conseil informel « Justice et affaires intérieures » qui s’est tenu le 26 janvier, le Conseil de l’UE a ainsi indiqué vouloir utiliser en ce sens toute sorte de leviers – notamment la politique en matière de visas, le commerce, la diplomatie, l’aide au développement ou encore les possibilités de migration légale vers l’UE – afin de « faire pression » sur les pays d’origine. À ce jour, seule la Gambie fait l’objet de sanctions européennes pour son manque de coopération, avec un durcissement des conditions d’octroi d’un visa Schengen pour ses ressortissants.
Les retours, élément central de plusieurs textes clés en cours de négociations à l’échelle européenne
En parallèle du déploiement de la stratégie opérationnelle de la Commission, les États membres ont convenu, lors du Conseil européen des 9 et 10 février, de faire avancer les négociations de la proposition de refonte de la directive européenne « Retour » de 2008, qui fixe les normes et procédures communes applicables dans les États membres pour le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
En septembre 2018, la Commission européenne avait annoncé ce projet de refonte avec l’objectif clair d’augmenter les taux d’exécution des obligations de quitter le territoire au sein de l’UE. La proposition prévoit, entre autres, de fixer un délai de cinq jours pour introduire un recours contre une décision de retour, sans effet suspensif de plein droit, suite au rejet définitif d’une demande de protection internationale – et d’obliger la personne visée par une décision d’éloignement à coopérer avec les autorités. Alors que la durée maximale de rétention fixée actuellement par plusieurs États membres est inférieure aux six mois prorogeables jusqu’à 18 mois au total, autorisés par la directive « retour » de 2008, la proposition de refonte prévoit en outre que la législation de tous les pays membres fixe une durée minimale initiale de rétention de trois mois.
Si une approche générale partielle sur le texte avait été adoptée par le Conseil de l’UE en juin 2019, les négociations s’enlisent au niveau du Parlement européen depuis la présentation du projet de refonte en 2018. Tineke Strik, eurodéputée du groupe des Verts qui a été nommée rapporteure de la proposition en 2019, a publié son projet de rapport le 21 février 2020 en tentant d’atténuer l’approche de la Commission européenne qui mise sur des mesures d’éloignements punitives au détriment d’alternatives. Elle propose notamment que le placement en rétention ne puisse excéder trois mois renouvelables à deux reprises, contre les six mois pouvant être prolongés de 12 mois supplémentaires, et donc pouvant atteindre 18 mois au total dans le cadre de la directive actuelle de 2008. Elle propose par ailleurs d’interdire la rétention des mineurs ainsi que des membres de leur famille, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le rapport de Tineke Strik n’a cependant toujours pas été adopté en Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE).
Outre la proposition de refonte de la directive européenne « retour », l’objectif d’accroître les éloignements est également un élément central de plusieurs textes en cours de négociations dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile, présenté par la Commission en 2020, que les co-législateurs se sont engagés à adopter d’ici février 2024 dans le cadre d’une feuille de route conclue le 7 septembre dernier. La Commission européenne propose notamment de mettre en place une procédure obligatoire de filtrage aux frontières extérieures de l’UE qui permettrait d’orienter les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas les conditions d’entrée dans l’UE et les déboutés de l’asile vers une procédure de retour à la frontière. Par ailleurs, la nomination en mai 2022 d’une coordinatrice en charge des retours au sein de la Commission européenne illustre la volonté de l’Union de prioriser les retours, au détriment d’une réponse ambitieuse pour veiller au respect des normes en matière d’asile au sein de l’Union.